Intérim : tremplin… ou prison ?

Tu viens d’avoir ton diplôme, tu n’as pas encore trouvé de poste. Tu as beau avoir 20 ans, tu ne te fais pas d’illusions : ce n’est pas ton conseiller France travail qui te trouvera un poste. Alors tu t’inscris en agence d’intérim, plein-e d’espoir. Et de flemme peut-être ? A eux de te trouver un poste, sans que tu scrolles des heures sur les sites emploi pour chercher un poste qui te plait.

Tu t’inscris avec ton plus beau CV, et miracle ! 2 jours après, tu travailles déjà. Tu es excité, fier, tu penses à ta future paie, la nouvelle expérience…les lunettes roses.

Vraiment ?

L’intérim : tremplin…ou prison ? Tu vas vite le découvrir.

1. Roue de secours ou roue qui t’écrase ?

Objectif atteint ; tu as eu une solution immédiate – 2 jours de recherche d’emploi, ce n’est rien -, tu as un salaire. Tu vas avoir une nouvelle expérience à mettre sur ton CV. Des primes. Des heures sup majorées. En intérim, tu es plus payé qu’en CDD.

Le souci ? Ton premier contrat est pour 2 semaines. Durée moyenne d’une mission : 1,7 semaines.  Seulement. https://www.groupe-jobbox.fr/le-groupe/actualites/le-point-sur-les-contrats-en-intérim-en-2020

La suite ? Tu ne sais pas. La boite intérim dit que -elle t’a vendu le poste, normal, pour avoir sa commission, ton chef dit autre chose -il veut que tu sois motivé, tes collègues pensent que – selon leurs propres croyances et vécu, et intuitions… Et toi, tu es au milieu, tu ne sais pas à qui te vouer. Cependant, seul le contrat fait loi.

Et les contrats, tu le découvres, vont pleuvoir. Ils peuvent s’enchainer pendant des mois et des mois. S’arrêter, recommencer. Tu le sais le vendredi pour le lundi suivant. Ton contrat est renouvelé le jeudi pour 2 semaines, mais le lundi on t’annonce que la personne que tu remplaces revient, mais qu’il y a un besoin : un autre s’en va, par contre les horaires changent, et tu es en repos un samedi sur deux, A te formera. Ok pour toi ? T’as une seconde pour décider – spoiler : toujours dire oui, en bon petit soldat, prêt à tout pour la carotte d’un CDI. Formé tous les mois, donc. Mais par contre, il faut signer dans les 24 h ! Zéro stabilité, zéro projection.

Tu es la variable d’ajustement, selon le niveau d’activité de l’entreprise qui vend plus ou moins de tel produit, X qui poursuit son arrêt maladie ou pas – par période de 2 semaines la plupart du temps, comme ton contrat. L’incertitude est usante. Et compliquée à gérer si tu as des charges et ne vis plus chez papa maman, que tu es toi-même parent – j’inscris Mateo à la cantine/crèche ou pas ? Mais je dois décider pour 6 semaines à venir, alors que je ne sais que pour 2, comment je fais ?

Tes missions peuvent évoluer, ou pas. Tu ne choisis pas. Tu prends ce qu’on te donne, tu fais ce qu’on te dit de faire, comme un bon petit soldat. Tu fais des heures sup à gogo si besoin – et c’est souvent le cas, s’ils n’étaient pas dans l’urgence, tu ne serais pas là. Mais ça dure combien de temps, l’urgence ? est-ce qu’ils vont pouvoir se projeter à plus long terme, pour toi comme pour l’entreprise ? tu as des espoirs, mais pas d’actes. pas avant un certain temps. Ce n’est qu’après une certaine durée — souvent 18 mois — que l’entreprise est tenue de proposer un CDI. Autant dire que tes nerfs (et ton compte en banque) doivent tenir jusque-là.

On peut te dire que tu n’es pas renouvelé, tu encaisses gentiment sans faire de remarque, et 1 heure après ton chef a changé d’avis, finalement il te renouvelle 2 semaines. Et il pense que celui que tu remplaces ne reviendra pas, alors il te met sur le planning du mois complet – mais ton contrat reste sur 2 semaines. Bon ascenseur émotionnel…Et en croisant un collègue tu apprends que le chef l’a vu avant de te renouveler, pour avoir son avis, et qu’il t’a recommandé par rapport aux missions que tu fais – que tu n’as pas décidé. Ton avenir tient à la chance et aux collègues, en somme. Qui ont aussi validé ton arrivé en regardant ton CV…

En intérim, tu touches bien des congés payés (10 %), mais la réalité c’est qu’il est difficile de poser de vraies vacances. Résultat : tu peux enchaîner 2 ou 3 ans de missions sans véritable pause.

2. Job express, avenir cassé ?

Sur le papier, l’intérim c’est l’expérience. Ça te permet de trouver rapidement, facilement un poste. D’expérimenter plein de choses : 2 semaines par ci, 3 mois par là. Plein de lignes sur ton CV donc. Si tu es prêt à revoir tes critères, car les jobs en intérim sont rarement des jobs de rêve, plutôt des BDM (boulot de m**) mais au contraire ceux pour lesquels ils ont du mal à recruter pour X et Y raisons.

En réalité ? Ça fragmente ton parcours, ça brouille la lisibilité. Les recruteurs peuvent voir de l’instabilité → paradoxe : l’intérim censé t’aider, peut te fermer parfois des portes.

Lire à ce propos mon article https://www.apprentiboss.fr/cv-erreurs-frequentes/

Et là, c’est la désillusion. L’intérim ressemble parfois plus à une cage sur roulettes qu’à un tremplin : ça bouge, mais ça reste précaire. Qui t’enferme dans la précarité. Avec beaucoup d’expériences, certes, mais courtes. Or un recruteur privilégiera toujours les expériences longues, il cherche les X années d’expérience – et pas semaines, mois – pour se rassurer.

Il cherche aussi la cohérence. Comment justifier que tu aies fait hôtesse au Salon de l’automobile alors que ton diplôme est en urbanisme, par exemple ? et vendeuse de sèche-cheveux à la fête des mères ? mais si tu ne mets pas que tu as travaillé X semaines-mois en intérim, tu as un trou sur ton CV, tu passes pour une personne pas très dynamique, ni motivée à travailler, ou trop/très exigeante pour son poste alors que tu sors des bancs de l’école bien souvent.

Toi, tu as peur de t’enfermer dans ce fonctionnement, même bancal.. Au nom d’ « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».  Car 2 semaines de taf c’est toujours ça de pris, même si  ce n’est pas le job dont tu rêves.

Et un jour, tu réalises que tu as plus bossé en tant que vendeuse qu’en chargée de communication, ton diplôme « de base » depuis 2 ans. Il ne vaut plus rien sur le marché du travail, donc…

L’intérim peut durer jusqu’à 3 ans. 3 ans d’incertitude et de parcours fragmenté, donc. https://www.cdr-copdl.fr/doc_num.php?explnum_id=19044

Alors, si l’intérim était moins une béquille qu’une prison dorée ?

3. Solution ou illusion ?

Dans le discours officiel : “l’intérim, tremplin vers l’emploi durable”. Elles se vendent toutes en tant qu’agences offrant des postes en CDD, CDI et intérim, d’ailleurs. Pour t’attirer. Faire leur chiffre d’affaires.

La réalité : une minorité seulement débouche sur un CDI. Pour beaucoup, c’est la répétition sans fin des contrats courts. Tu deviens “indispensable mais remplaçable”. Une variable d’ajustement pour l’entreprise comme l’agence, grandes gagnantes.

La solution tient peut-être au contrat à durée indéterminée intérimaire (CDII) https://www.capital.fr/votre-carriere/emploi-ce-contrat-meconnu-vous-permet-de-travailler-en-intérim-avec-les-memes-avantages-quun-cdi-1515711

Encore faut-il être prêt à prolonger ce mode de vie pendant des années. Être toujours prêt à apprendre. A s’intégrer à une équipe. Car rien ne te dit que tu vas enchaîner des contrats de menuisier, par exemple. Ce sera peut-être menuisier puis manœuvre puis préparateur de commandes etc

Si tu n’aimes pas t’ennuyer, n’a pas de diplôme, why not ? Sinon, tu dois continuer de chercher un emploi plus durable tout en étant en intérim. Pas forcément évident à organiser…

Autre cas où l’intérim est intéressant et je l’ai moi-même croisé : des micro-entrepreneurs qui ont peu d’activité à une période – que ce soit début ou non – et qui font de l’intérim à côté de leur activité « voulue » – coach de vie ou autre.

Intérim : tremplin… ou prison ?

En résumé, l’intérim n’est ni un piège, ni un tremplin magique. C’est un outil : il peut t’ouvrir des portes si tu sais où tu vas, ou t’enfermer si tu le subis. L’important, c’est d’être lucide sur tes objectifs et ton profil. Parce qu’au fond, ce n’est pas le contrat qui définit ton avenir, mais la manière dont tu le fais vivre. »

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